L’éthique des procédures contentieuses au Canada dans l’ère de la COVID-19

I have posted a new paper to SSRN, reflecting on the lessons of the pandemic for the Canadian legal system. It is to appear in a French-language collection edited by Jean-Bernard Auby. You can download the full paper here. In Section 1, I lay out the basic principles of administrative justice and judicial justice in Canada.

Section 1

Grands principes procéduraux

Dans cette section, nous décrivons l’organisation du contentieux au Canada, martelant surtout son caractère de common law. Nous discutons aussi de la transparence dans le contentieux canadien, en faisant référence notamment au principe de justice ouverte. Par la suite, nous poursuivons avec une discussion des axes principales de la déontologie dans le contentieux canadien avant de finir avec une analyse de l’approche aux délais dans le système juridique canadien.

§ 1. Organisation du contentieux

A. Des contentieux de common law

Dans l’organisation de ses contentieux, le Canada est un pays de common law. Bien que la province de Québec se soit dotée d’un code civil et se soit décrite généralement comme une juridiction « civiliste », le système juridique québécois est un système mixte. Son droit privé se trouve principalement, certes, dans son code civil, mais ses procédures, bien que codifiées au Code de procédure civile[1],sont celles de la tradition britannique[2]. Le contentieux canadien – autant au Québec et les tribunaux fédéraux que dans les provinces anglophones – est un contentieux de common law.

B. Les aspects les plus importants des contentieux de common law

Héritier de la tradition de common law amenée en Amérique du Nord par les immigrants de l’ouest de l’Europe, le contentieux canadien a été fortement influencé par ses origines britanniques. Premièrement, comme dans la tradition des juges britanniques, les juges canadiens livrent des décisions motivées extrêmement détaillées : la jurisprudence l’emporte largement sur la doctrine. Deuxièmement, les procès se déroulent parfois avec des jurys, surtout en droit criminel, mais parfois encore en droit civil. Troisièmement, il n’y a pas en droit canadien une division claire et nette entre le « droit public » et le « droit privé ». En revanche, et contrairement aux grands systèmes civilistes, c’est la cour supérieure qui est au cœur du système judiciaire, avec sa compétence inhérente et résiduelle très large : toute autre cour inférieure ou tribunal administratif ne peut exercer que des pouvoirs accordés par le législateur. Lorsque nous parlons du système juridique canadien, nous parlons des cours supérieures, avec leur compétence large en matière de droit civil, droit criminel et droit public ainsi que des tribunaux administratifs (et certaines cours inférieures ayant compétence restreinte en matière civil et criminel).

C. Les contentieux de la common law contemporaine : droit civil

Même si le jury est un élément clé de la tradition de la common law, il est de moins en moins utilisé dans le contentieux canadien en droit civil. Dans des dossiers opposant deux justiciables, ces derniers choisissent souvent un procès sans jury. À ce genre de choix volontaire qui diminue le rôle du jury s’ajoute la grande tendance vers le règlement alternatif des différends, c’est-à-dire la médiation, la négociation et l’arbitrage. Les juges sont eux aussi impliqués dans le règlement alternatif des différends, ayant adopté depuis quelques décennies une approche plus musclée à la gestion des dossiers, appelant activement des parties à trouver un terrain d’entente dans le cadre de discussions qui ont lieu hors cours.

D. Les contentieux de la common law contemporaine : droit criminel

Le Code criminel du Canada préserve le droit à tout inculpé – enchâssé par ailleurs dans l’article 11f) la Charte canadienne des droits et libertés – de subir un procès avec jury. Dans certains cas, il est même interdit de renoncer à un procès avec jury[3]. Le jury demeure donc central à l’administration de la justice en ce qui a trait au droit criminel.

E. Les contentieux de la common law contemporaine : droit public

Le jury est complètement absent du droit public. Hérité de la tradition britannique et nonobstant des réformes importantes au fil du 20e siècle, le droit public canadien donne aux juges des cours supérieures un droit de regard sur la légalité de l’action gouvernementale, mais un regard qui est jeté presque exclusivement sur dossier. Certes, il y a des audiences en droit public, avec des plaideurs qui contestent et défendent, le cas échéant, la légalité de l’action attaquée, mais il n’y a jamais ni témoin ni jury, car c’est le juge qui décide des questions de légalité. Parfois, des fonctionnaires se sont contre-interrogé sur le contenu des leurs affidavits, mais les questions et réponses sont rarement posées et données de vive voix devant un juge (et les décideurs administratifs bénéficient du secret du délibéré[4]). Le tout se fait donc sur papier, mis à part certains dossiers complexes de droit constitutionnels où des procès sont nécessaires[5]. Pour ce qui est des tribunaux administratifs, leurs procédures sont éminemment variables, soit adversariales (opposant citoyen contre citoyen ou citoyen contre l’État) soit inquisitoriales (par exemple dans le contexte du droit de l’immigration, ou un commissaire statue sur la recevabilité d’une demande d’asile ou de résidence).

§ 2. Transparence

  1. Le principe de la justice ouverte

Le système judiciaire canadien est ouvert au grand public. Le grand principe de la justice ouverte, qui fait partie de la common law, est maintenant ancré dans l’ordre constitutionnel canadien, depuis le rapatriement de la Constitution du Royaume-Uni en 1982 et l’adoption d’une Charte des droits et libertés qui protège entre autres le droit à la liberté d’expression[6]. Ce droit est assez large pour assurer l’accès aux contentieux, y compris les documents qui y sont déposés[7]. Ce principe englobe non seulement les cours de justice, mais aussi les tribunaux administratifs exerçant des fonctions juridictionnelles (c’est-à-dire, le règlement des différends par l’application des normes objectives aux faits identifiés suite à un processus adversarial)[8]. Des ordonnances de non-publication ou de huis clos sont exceptionnelles, même si certaines procédures concernant des questions de sécurité nationale ont lieu en secret sur autorisation législative[9].

B. La diffusion des contentieux

Même si le contentieux est ouvert en principe au grand public, il s’agit plutôt d’une ouverture physique : le justiciable a accès aux palais de justice, pour assister à des audiences et pour regarder des dossiers qui y sont déposés. À l’exception de la Cour suprême du Canada, et très rarement d’autres instances, le contentieux n’est pas normalement diffusé aux téléspectateurs ou aux internautes.

C. L’accès à un avocat

Tout inculpé a le droit d’être représenté par un avocat et cela dès le moment où il est mis en état d’arrestation ou de détention[10]. Il n’y a pas, en revanche, un droit général aux services d’un avocat[11]. Pour ce qui est des contentieux devant les tribunaux administratifs, le tribunal a la discrétion de permettre ou non la représentation par avocat[12]. Dans le contentieux canadien, il n’y a donc pas de représentation obligatoire par un avocat.

§ 3. Déontologie

A. Justice naturelle

Le principe de base de la déontologie des contentieux au Canada est celui de la justice naturelle, avec ses deux maximes en latin : audi alteram partem et nemo iudex in causa sua. D’une part, chaque partie à un contentieux a le droit de faire valoir ses moyens : il a le droit d’être entendu, et cela autant devant les instances administratives que judiciaires[13]. D’autre part, on a le droit à une décision prise par un décideur impartial. L’application de ces deux principes – par le décideur lui-même dans un premier temps et, en dernier ressort, par les tribunaux – assure que le contentieux est équitable et digne du respect des justiciables.

B. Codes de conduite

Tous les juges canadiens sont assujettis à des codes de conduite. Les juges des cours supérieures exercent leurs fonctions sous le regard attentif du Conseil national de la magistrature, qui peut prendre action sua sponte, suite à la réception de plaintes de membres du public ou à la demande d’un procureur général[14]. Des mécanismes semblables existent pour des juges des tribunaux inférieurs. Au niveau des tribunaux administratifs, il n’y a pas – à l’exception du Québec et son Conseil de la justice administrative[15] – de codes de conduite généraux, bien que certains tribunaux administratifs aient mis en place leurs propres systèmes internes de déontologie[16] : de toute manière, dans la mesure où des manquements graves à la déontologie des décideurs administratifs peuvent être sanctionnés par les cours supérieures (parce que ce genre de manquement amène à l’illégalité), le besoin n’est pas particulièrement criant.

C. Indépendance judiciaire

Bien que nommés par l’exécutif, les juges canadiens sont indépendants des branches exécutives et législatives, à l’abri de toute ingérence politique pour ce qui est de leurs conditions salariales (établies par des commissions indépendantes), leur inamovibilité et leur autonomie administrative[17]. Ce principe d’indépendance judiciaire est enchâssé dans la Constitution[18]. Notons, par contre, que ce principe constitutionnel n’englobe pas les instances administratives, protégées quant à elles seulement par un principe interprétatif beaucoup moins fort[19].

§ 4. Bonne administration : Les délais et la culture juridique

L’orientation du système judiciaire canadien a grandement changé récemment. Dans deux grands arrêts, l’un en droit civil et l’autre en droit public, la Cour suprême a énoncé un changement d’approche important. Dans un premier temps, la Cour a exhorté aux participants dans le système de droit civil à instaurer un changement de culture, utilisant des moyens plus légers, tels que des procédures sommaires ainsi que le règlement alternatif des différends, afin de mener des litiges à terme[20].Dans un deuxième temps, inquiète des délais dans la sphère du droit criminel, la Cour a imposé un cadre analytique exigeant, composé de seuils de 18 mois pour des procès moins complexes et de 30 mois pour les dossiers les plus complexes, le non-respect desquels menant normalement à des arrêts de procédures[21]. Autrement dit, si le processus menant au procès prend plus de temps qu’il ne le devrait, la poursuite échoue. La Cour a néanmoins martelé l’importance de l’engagement de l’ensemble des participants dans le système : des inculpés ne peuvent pas frustrer la poursuite afin de bénéficier du passage du temps afin de demander un arrêt de procédures.

En revanche, nous attendons toujours de nouveaux enseignements de la Cour suprême en matière de délai au sein de l’administration publique. Dans l’arrêt Blencoe la Cour suprême a développé un cadre analytique relativement restreint à cet égard[22]. S’inspirant des enseignements de la Cour suprême en droit civil et en droit criminel, une cour d’appel (celle de la Saskatchewan) a tenté d’augmenter la force de frappe de l’arrêt Blencoe, mais cette décision a été portée en appel devant la Cour suprême, qui a entendu la cause en novembre 2021 (le soussigné était un des procureurs de l’appelant, le Barreau de la Saskatchewan)[23].


[1] CQLR c C-25.01.

[2] Procureur Général du Québec c. Labrecque et autres, [1980] 2 RCS 1057.

[3] Voir, par exemple, Code criminel, LRC 1985, c C-46, art. 536.

[4] Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8, [2016] 1 RCS 29.

[5] R. v. Desautel, 2021 SCC 17.

[6] Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 RCS 835.

[7] Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 RCS 522.

[8] Bell Canada c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 TPEC 3.

[9] Ian Leigh, « Secret Proceedings in Canada » (1996) 34 Osgoode Hall LJ 113.

[10] Charte canadienne des droits et libertés, art. 10b).

[11] Colombie-Britannique (Procureur général) c. Christie, 2007 CSC 21, [2007] 1 RCS 873.

[12] Paul Daly, Understanding Administrative Law in the Common Law World (Les presses de l’Université d’Oxford, 2021), aux pp. 96-97.

[13] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, au par. 127.

[14] Voir, à titre d’exemple, Girouard c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 129.

[15] Loi sur la justice administrative, RLRQ c J-3, Titre III.

[16] Voir, à titre d’exemple, « Procédure pour déposer une plainte à l’endroit d’un commissaire », Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (21 décembre 2017) : https://irb-cisr.gc.ca/fr/legales-politique/procedures/Pages/member_complaint-plainte_commissaire.aspx (consulté le 12 janvier 2022).

[17] Valente c. La Reine, [1985] 2 RCS 673.

[18] Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, [1997] 3 RCS 3.

[19] Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 RCS 781.

[20] Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 RCS 87.

[21] R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 RCS 631.

[22] Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 RCS 307.

[23] Abrametz v Law Society of Saskatchewan, 2020 SKCA 81.

This content has been updated on March 10, 2022 at 01:03.